lundi, novembre 28, 2005

Joli bordel

Corentin Celton - Sentier. Les stations se succèdent et ma main reste suspendue au-dessus du petit moleskine. Je vois son visage et ma main reste suspendue et l'encre du stylo sèche. Envie d'écrire en lettres énormes, des mots qui explosent et qui pètent comme le maïs dans la poêle. Envie d'en envoyer partout, de mettre le bordel sur tes plages comme de ce côté de l'écran. Un bordel doux et coloré. Un beau bordel à nous. Un bordel qui sent l'orange et la cannelle.

jeudi, novembre 24, 2005

Winter


7.30. Trop de monde dans le train. On est serrés comme des mikados de combat, et on fabrique de la buée pour les fenêtres. De la mauvaise buée pleine de microbes, qui se condense et dégouline lentement. De nouveau du mal à trouver de l’air ce matin. Je siffle comme une petite vieille qui entamerait son dernier hiver.

J’ignore si c’est la promiscuité qui me rend misanthrope à ce moment précis. Je m’en contrefiche, de toute manière. Aujourd’hui, j’exècre tous ces étudiants qui parlent trop fort, comme s’ils étaient sûrs d’eux, qui beuglent à qui veut l’entendre qu’ils vont encore se saouler la gueule au Baccardi Breezer ce week-end; ces fonctionnaires de la Justice, vieilles avant l’âge, qui rabâchent les oreilles de tout le compartiment avec leurs problèmes familiaux et les couches du petit, et qui transpirent déjà; le contrôleur qui ramasse mon abonnement tombé dans le couloir central, qui fait mine de ne pas vouloir me le rendre et qui finit par me le tendre en me souriant de ses trois dents brunes et déchaussées, satisfait de sa plaisanterie.

Je suis dans ce bête train suant alors que j’ai envie de compter les grains de beauté d’un emperlimpimpinteur parisien, des pieds jusqu’à la pointe du crâne, me saouler de son souffle et de ses mains posées sur moi, d’escalader avec lui des abribus et de crier nos prénoms une fois en haut, de le faire frissonner, encore, dans une cabine du BHV, puis dans une cabine des Galeries Lafayette, puis dans une cabine du Bon Marché et dans une cabine Benetton où on s’isolerait pour essayer des gants qu'on ferait exprès de ne jamais trouver à notre goût…

Tori Amos dans les oreilles, pour m’abstraire une nouvelle fois de ce compartiment et de ces rails. Il me remémore hier soir une de ses chansons. Intro magnifique au piano. Un tout léger souffle, quasi imperceptible. Comme si elle avait enregistré « Winter » dans une petite maison bien chauffée, là où un jour je regarderai la mer… Impression d’une pluie, très loin derrière. Tout au nord.

8.35. Je continue à me dessécher dans le fond de la classe. Je regarde les jambes en X de la stagiaire, et ses fesses qui dansent la Carmagnole quand elle écrit au tableau, et ça commence vraiment à me lasser. Elle donne deux heures de cours et me dit qu’elle n’a plus de voix. Un sursaut de politesse et d’humanité m’empêche de lui dire qu’elle n’en avait de toute façon pas « avant ».

« Pour une meilleure pénétration, ils utilisaient de l’argile molle. » Va-t’en savoir pourquoi c’est à ce moment précis de la leçon de Boucle d’Or que je sors de ma léthargie… J’essaie de me raccrocher à ce qu’elle est en train de raconter.

Tiens, je te laisse une trace de ce week-end surréaliste. Le sourire d’I. d’abord, concentrée sur de belles lettres rouges qu’elle imprime sur des bouteilles de vin. Puis celui de N. et G. qui déchirent grave au violon. On joue pas loin de huit heures. Mon frère semble bien. Je suis tellement heureux de danser avec mon accordéon… Un ordinateur, tout en haut dans les bureaux du Centre Culturel. Lui et moi quelques minutes, comme au bout du monde. Le mail de C., lectrice de hasard, qui me propose avec des mots étranges et ronds de m’envoyer du thé et des pépitos… Un barnum et un chauffage en panne. Une « tête de moine » pour terminer la nuit, sur le coup de quatre heures. L’angoisse qui me prend, place du Jeu de Balle, le lendemain midi. Sa voix, ses mots, lui, tout de suite. Je suis trop fatigué, ça doit être ça. Une vieille dame se plante devant moi et entonne « Un fiacre allait trottinant, cahin-caha… » des étoiles dans les yeux.

Je m’approche du nid qui renferme notre odeur. Lundi, un peu après 22.00. Il est là, derrière la fenêtre de la cuisine. Il ne me voit pas et je pourrais le regarder des heures.

“Snow can wait
I forgot my mittens
Wipe my nose
Get my new boots on
I get a little warm in my heart
When I think of winter” Tori Amos

mercredi, novembre 16, 2005

Botanique toi-même


Il arrive pile à temps, cet après-midi, juste avant que je t’envoie des mots trop acides pour toi.

Le manque est trop grand aujourd’hui. J’ai la nausée.

Arrivée à Bruxelles, Cirque Royal. Je tends mon ticket pour Cali à l’ouvreur. « Cali, c’est pas ici, c’est au Botanique ». Je crois que je perds un peu la tête. Botanique. J’hésite. Un quart de seconde. Je refile mon ticket à une jeune femme un peu hystérique, déjà en nage et le visage couvert de plaques rouges à l’idée de voir son idole. Et je me casse. Quelques rues de Bruxelles. J’essaie de ralentir le pas. Je n’y arrive pas. Alors je reprends le train. Dans l’autre sens. Des pensées-cyclotrons traversent mon esprit à toute volée. En deux temps trois mouvements, je suis ici.

Une amie m’envoie un sms depuis une salle d’attente. Elle a en main un magazine féminin. Dedans, un texte de moi pour toi. Je ne comprends pas bien. Mon histoire a échappé à tes couleurs pour se retrouver sur du papier glacé au blanc clinique.

Si je ne suis pas noyé dans le thé et le sucre d’ici là, je reprends la route avec mon accordéon, ce week-end. Trois concerts, dont un tout seul. I. me ramènera un peu d’air de là-bas et je sourirai… Aucun intérêt à jouer seul. J’avais envie de me faire peur. C’est malin. Maintenant, j’ai un peu peur.

« Le bonheur est entré dans mon cœurrrr, une nuit par un beau clair de luneuuuu ». Michel Vaucaire

Envie de lui. Et de tango.

Dessin d'Irène Tétaz

mardi, novembre 15, 2005

Echarpe et pépitos


Lundi, après-midi, à l’école.

Je retrouve mes p’tits potes après quinze jours. Je les adore et je souris dès mon entrée dans le grand hall. C’est comme si le soleil se mettait d’un coup à briller très fort.

La première stagiaire, la grande blonde avec trop de cheveux, a commencé son cours depuis dix minutes quand je rentre en classe sur la pointe des pieds, un verre d’eau à la main. Ils sourient en me voyant. Je leur demande comment ça va, tout bas pour ne pas trop déranger. Ils me répondent, aussi bas : « Bien, et vous ? » Une élève m’interroge sur mon voyage. « Je vous raconterai… Chuuut… »

Je rejoins le petit banc du fond de la classe. J’ai énormément de mal avec ce genre d’exercices. Ecouter une série de cours et la fermer. C’est l’enfer. Je crois que j’ai commencé à aimer l’école à l’âge de vingt ans, en fait. A partir du moment où plus personne n’était là pour m’interdire de parler quand j’en avais envie.

Denis me regarde et me sourit, un peu complice, comme s’il avait compris que je mourais d’envie de lancer la stagiaire par la fenêtre et de reprendre le flambeau. Je lui rends son sourire. Je gribouille des remarques de méthodologie en rouge, par réflexe, sur un coin de feuille, je t’écris en noir sur un autre coin de feuille et quand je n’écris pas, je mange des pépitos en faisant attention de bien fermer la bouche pour ne pas me faire prendre en flagrant délit de gourmandise. Les élèves ont l’habitude de voir arriver, assez régulièrement, un stock déraisonnable de pépitos, qu’une collègue incrédule me ramène de France. Quand c’est le jour, je vais chercher ma classe dans la cour les bras tellement chargés de boîtes de biscuits que je dois confier ma clé à un p’tit pote. Je rentre en classe et j’emmagasine le tout dans une de mes armoires, sous une vingtaine de regards franchement amusés… Puis je sors ma bougie et mon brûle parfum, et dix minutes plus tard, la classe sent le jasmin.

Tiens, un moment d’anthologie de l’histoire de l’enseignement. Cette phrase prononcée à l’instant par la stagiaire, que je regarde en me mordant la joue, comme si je venais de me pisser dessus et que je voulais faire mine de le camoufler : « Qui veut partager à la classe qu’est-ce qu’il a mis sur son schéma ? »

Journée de fou. Je n’ose même pas y penser. Je saute d’une stagiaire à l’autre (oui oui), d’un conseil de classe à une réunion chez dame préfète, de paperasseries en paperasseries.

Notre écharpe ne me quitte plus. Je n’ai pas réussi à l’enlever ce matin, en arrivant, et je passe le tiers du temps le nez enfoui dans la laine verte. J’ai bien essayé de la retirer juste avant de commencer mon cours, tout à l’heure. Mais je me suis senti nu, instantanément, et un frisson désagréable m’a parcouru le dos.

Il est en moi.

lundi, novembre 14, 2005

L'absence


Je ne devrais sans doute pas t’écrire dans cet état. Attendre que l’absence se diffuse un peu dans mon corps et arrête de me tordre le bide comme elle le fait. L’absence ne se dilue pas, elle se diffuse, circule, gagne toutes les parties du corps et de l’âme, plus les jours avancent. Souvent elle repasse par le ventre, inlassablement, jusqu’à ce que ses bras et ses yeux apaisent tout, une nouvelle fois…

On a joué aux chats la journée entière. S’endormir dans la chaleur de l’autre, mes mains dans les siennes ou ses mains dans les miennes… Je ne sais plus, tellement j’ai l’impression de me fondre en lui.

Je voulais te dire que, même si l’heure vingt-cinq qui sépare nos deux gares est la plus cruelle de toutes, la distance ne changera rien. Je l’aime et je voudrais le crier. Partout. Inonder mon monde de son prénom. Badigeonner ma vie de ses sourires et de sa voix.

Je me sens fort et incroyablement heureux.

Je pense à tout le reste et je ris…

Il a eu mes bras avant toi, et je ne veux que les siens.

dimanche, novembre 06, 2005

Helium


Je marche vite. Plus vite qu’à l’ordinaire, comme pour m’empêcher de penser. Comme pour rapprocher de nous tous ces moments où on se rejoindra, encore, encore, encore…

Je voudrais fabriquer des ellipses. Rapprocher les week-ends et les lier entre eux.

Je ne voulais pas t’en parler. Garder les mots. Mais je suis si heureux. Je voudrais crier par la fenêtre que la moindre parcelle de lui me bouleverse tout entier. Et puis que tous les papillons qui ont traversé mon estomac depuis tout ce temps peuvent aller se rhabiller.

Ce papillon-ci a les plus belles ailes du monde.