mercredi, mars 29, 2006

Mireille et mogettes


Connaissez-vous la terrible nouvelle ? Non ? Le professeur Hibou a perdu la cervelle. Et ma souris couine. Sa race, elle couine, la petite. De bas en haut, elle fait « hiiiii hiiiii » et ça s’entend jusque Paris. Le professeur Hibou vient de devenir fou, fou, fou. Tout à fait fou. Tu vas me dire, tant qu’elle couine, elle fait rien d’autre. Fou, fou, tout à fait fou. J’ai rapatrié l’époisses. Oublié dans un coin de banquise. Fou, fou, complètement fou. L’époisses ça pue comme ça devrait pas mais c’est bon à pleurer devant la mer. Rapatriement en règle, d’une banquise à l’autre, emmailloté dans un linceul de plastique de chez un grand bouquiniste.

Depuis quelques jours, il arrive à l’école avec un vieux chapeau, sans soulier sans faux-col. Il sait que ça ne se fait pas, le vieux Hibou, mais il s’en tamponne la fesse droite. Et ses doigts vont tout seuls, ils font ploc ploc, en rythme. C’est doux comme un saut dans les flaques avec de gros godillots. Il apprend aux enfants que deux et deux font trois. C’est doux comme un gâteau à la framboise dans un jardin de Giverny. Et les pauvres petits le croient ! Pauvres, pauvres... faut le dire vite. Ils ont encore merdé. Depuis quand les beffrois servaient-ils à faire le gay ? Merde. Les bras me tombent et y a personne pour les ramasser. Ils ont des têtes qui s’en foutent bien pas mal de mes bras au sol, sur le vieux carrelage branlant. On pourrait leur dire que Venise est en plein Sénagal, ça leur serait bien égal. Et pour le vieux Hibou, ne croyez pas que les choses s’arrangent. Il prend la craie, le vieux chiffon, et il les mange. J’ai tourné fort la bougie danoise toute bleue dans le chandelier rose. Ca fait des copeaux turquoise sur les côtés. C’est joli à jouer du bignou sur sa chaire. Fou, fou, tout à fait fou.

Hibou, il devient berzique. Sais pas si ça rend fou, l’odeur des crayons, de gomme et de boîtes à tartines… Il leur dit que Clovis inventa le chemin de fer et que Napoléon était un mammifère, et que Christophe Colomb, pour un plat de lentilles, avec son frère Abel avait pris la Bastille. Sans compter les deux cents lignes qu’il a données au plombier qui venait réparer les robinets. Evidemment, y a des parents qui trouvent ça anormal, qui disent que tout ça finira mal et que c’est ennuyeux de voir ce pauvre Hibou fou, fou, tout à fait fou.

Quoiqu’il en soit, vendredi, ma tête mettra les voiles, comme le vieux Hibou. D’après P., mon collègue de géographie, c’est faisable. Valparaiso en paquebot, pour pas cher. Une traversée d’un mois, passage par le canal de Panama. Il me dit ça avec des yeux gourmands… « Tu te présentes à Oostende… » Je troque tous les allers simples du monde contre celui-là. Avec lui. P. et moi, on a eu la même idée de la petite caisse de livres, pour la traversée. J’allais le dire à Tomke. Fou, fou, tout à fait fou.

Elle a une voix de souris. Chez elle, ça devait sentir le macaron et les fauteuils devaient être confortables. A côté d’elle, ma grand-mère, c’est la Fée Carabosse. Quand elle dit qu’il a mis des pétards sous les lits des dortoirs, elle a pas l’air de le trouver si fou que ça, le vieux Hibou, on sent que ça la fait bien marrer. Et puis, elle a un accent parigot à faire fondre d’amour la vieille éducatrice de mon adolescence. Et quand elle annonce que l’école a sauté, que c’était à prévoir, et que le directeur fait peine à voir, je suis certain qu’elle prend son pied. Et moi j’adore ça.

Mireille, je te kiffe. Et puis toi aussi. Youkaïdi, youkaïda. Et comme le dit Claudette Fuseau, « le bonheur n’est pas au bout du chemin, c’est le chemin ». Ben tiens ! M’en vais garocher mes mogettes, moi, là-dessus.

Monsieur hibou a pris sa bicyclette
Il a dit « moi j’m’en fous, je vais prendre ma retraite »
Il était très gentil, mais hélas comme beaucoup
Fou, fou, tout à fait fou

Fou, fou, tout à fait fou
Fou, fou, complètement fou


(Mireille)

mardi, mars 28, 2006

17h45, cerveau, état de lieux

Je noircis de ses traces mes pages de moleskine. Je ne sais pas pourquoi au juste. Pas envie de les laisser s'échapper dans la corbeille sfr.

J'ai mal au ventre. Je m'en veux. D'avoir mal. Juste. Voudrais me plonger dans l'acier trempé.

samedi, mars 18, 2006

Game over


Je rêve souvent de New-York. Un New-York fantasmé, évidemment. Il n’y a que des avenues kilométriques, larges et hautes, dans mes rêves de là-bas. Il y a trois nuits, l’immeuble est énorme et rutilant. Ses quatre faces sont recouvertes de vitres glacées, entièrement. Mais ce n’est pas New-York. Je vais voir ma grand-mère, avec des amis. Juste la voir, m’assurer qu’elle va bien. Les étages n’en finissent pas. Il me semblait pourtant qu’elle vivait au premier. Labyrinthe de couloirs. A je ne sais plus quel niveau, l’immeuble à appartements fait place aux couloirs glaciaux d’un hôpital. Je ne m’attarde pas. Un ami demande le chemin à un homme en train de nettoyer les moquettes des grands halls. Je ne me sens que vaguement perdu. On sort du bâtiment. Dehors, ce n’est plus tout à fait pareil, comme si on était sorti par l’entrée qu’on avait empruntée mais que le mastodonte lui-même avait pivoté de 90°C. Dehors tout est différent. Il y a des magasins et de l’animation. Une amie est restée calée à l’intérieur, décidée à trouver une bonne âme qui pourrait nous conduire chez bonne-maman. Elle arrive, seule. Je décide de continuer mes recherches en entrant de l’autre côté. Et si elle n’avait jamais vécu là ? Ascenseur à gauche, premier étage, porte de droite, pendant plus de vingt ans. Alors pourquoi plus aujourd’hui ? Les recherches ne mènent à rien. Alors qu’en d’autres temps, je me serais mis à paniquer et à suffoquer d’angoisse, là, tout semble léger, comme s’il s’agissait d’un jeu. Aucun trace de cet appartement. Rien. Il n’existe pas. On marche sans fin et je me réveille là.

J’ai compris. Bonne-maman est morte. Et c’est comme un jeu. Point.

jeudi, mars 16, 2006

Victoria et champs de patate


Les héroïnes austères de l’époque victorienne, en robes bouffantes et colifichets ridicules, qui tombent dans les pommes à chaque coup de sang en hurlant comme des dindes sur l’échafaud, et qui se remettent de leurs émotions en s’épongeant la tronche avec des mouchoirs de soie brodés m’emmerdent. Ca c’est dit. Je ne sais pas pourquoi je pense à ça là, tout de suite, mais c’est dit. Peut-être l’excès d’adverbes en –ment du traducteur d’Henry James qui se regardait traduire ou alors, je ne comprends plus rien à rien. A moins que le vieil Henry, tout fraîchement débarqué de ce côté de l’Atlantique, ne soit tombé si amoureux de l’Angleterre et de sa verve fin XIXème qu'il en a intégré les excès.

Me suis chopé un an, l’air de rien. Prends ça dans ta face. Sais pas trop si ça me plaît, d’avoir une année de plus chaque treizième jour de mars. Je me tâte encore.

Voulais dire quelque chose. Un truc qui vient de s’envoler à la lecture du mail d’un ami violoniste. Je relis et relis et rerelis ses lignes. Il est question que notre trio fasse la première partie du concert de Kusturica à Limoges en 2007. Je m’assure que le mail n’est pas une monstrueuse blague destinée à affoler tout musicien moyen qui le recevrait, et dont je ferais partie. En tout cas, je ne sais pas si je dois m’écrouler de rire devant l’opportunité ou trembler de peur… Jouer des morceaux des Balkans avec mes pauvres doigts de Belge, devant Kusturica, ça me troue le cul.

Expo avec trois p’tits potes, J. et ma chef. Armand Simon a mis dix ans pour digérer complètement les Chants de Maldoror avant de délivrer une suite de dessins en noir et blanc qui sont parmi les plus beaux de son œuvre.
- ‘Sieur, c’est noir comme dessin. C’est sordide. Moi j’vous dis, il n’aurait jamais dû lire « Les Chants de Maldoror », c’est pas bien !

Mon amoureux, outre que je l’aime plus que mille champs de chips poivre et sel, m’a offert les dernières notes d’Emilie, qui valent elles aussi leur lot de patates, et que je m’injecte en boucle. J’ai envie de faire une chorégraphie avec lui sur « Fleur de Saison », de nous mettre au milieu de la Grand-Place, le transistor à fond, et de danser pour tout le monde.

Demain il arrive et je me sentirai à nouveau complet.

lundi, mars 13, 2006

Jacqueline (4)

Il paraît qu'elle perd la boule, mon amie normande. Elle fait des bêtises dans sa grande maison, et ne sait plus qui elle est qu'à de rares moments. Juste comme ça, de temps en temps, histoire de se rendre compte que tout est compté. Je n'ose pas l'appeler. J'ai peur qu'elle ne me reconnaisse plus, derrière la tumeur qui est en train de bouffer son ciboulot. "J'irai te montrer la Sicile, tu verras comme c'est bien là-bas"... Mon cul, la Sicile... Je parie qu'elle ne sait même plus que ça existe, la Sicile. Ou alors elle, pense que "Sicile", c'est le nom de son voisin...

lundi, mars 06, 2006

Debriefing, mode nouille

Il avait apporté du thé. Eros. C’est bon le thé Eros. Tant mieux pour nous. Dans le pot pourpre. Pou pou pidou. Rien que pour nous.

Il dit : « Je garde votre monnaie, alors ? Ah ah ah… Je rigole, hein ! Je suis gai mais pas gay, hein ! Vous avez compris ? Ah ah » (rires gras et tra la la, ça fait du bien d’être contrôleur de train.)
Elle dit : « Alors, notre Parisien va bien ? Tu as été voir un spectak ? (…) Il fait toujours plus chaud à Pâââââris ! »
Ils me disent : « ‘Sieur ! C’est trop court hein ’Sieur les vacances ? »
Je me dis : « Et si je m’endormais, là, perché sur ma mezzanine ?... Ca jaserait encore chez les vieilles loutres. »
Tu me dis : « Ca me plairait encore bien, moi, un café comme ici. A Valparaiso. (…) (Des quiches ?) Tu rigoles mais ça marcherait, j’en suis sûr ! »

Envie d’accordéons, de pizzicatos et de clins d’œil polissons entre deux clairettes.
Cliquot machin truc, je te baise les pieds, mais tu te racles les ongles avant, parce que t’as l’air d’avoir fait du chemin ! Et ton bouchon dans ma boîte parisienne.
Je rêve de thé. Cigales, Marco Polo, Darjeeling, Orange Jaïpur, Chandernagor, Soirée d’hiver, Moines et Songes. Ma tête n’est plus qu’un grain de thé. Je deviens fou. Jusqu’au bout de la nuit.
« Et si on dit quelque chose en ville, on dira que je t’emmène faire ta communion. »

J’ai eu envie de partir, vendredi soir, mais on aurait eu mal.
« Copain » m’a troué le cul avec son Shirashi.

mercredi, mars 01, 2006

Souris de Moleskine

Pas grand monde au Luxembourg. Je le traverse en diagonale. Je rejoins la rue Vavin. Je vais toucher du papier dans une boutique. J'ouvre des carnets vides, de toutes les couleurs. Je les ouvre les yeux pétillants, parce que je sais qu'un jour, probablement, ils quitteront Paris, prendront peut-être des avions ou des trains lents ou rapides, et se rempliront d'histoires toutes différentes, d'annotations et de griffonnages compris d'une seule personne. J'ai souvent envie d'ouvrir les carnets fermés sur le coin des tables des gens qui m'entourent, me transformer en petite souris de Moleskines. Je ne le fais jamais, évidemment. Le plaisir, c'est juste l'envie d'ouvrir et d'imaginer les courbes, les lettres rondes ou nerveuses et les dessins.

Aux Halles, je longe un long mur de glaces. C'est bizarre, les murs de glace. C'est comme si je me baladais avec moi juste à ma gauche, et que je n'osais pas me regarder...

Je souris dans le métro, un livre de Coloane entre les mains. Je souris parce que les jours s'allongent et que j'en prends conscience pour la première fois. Je souris parce que les jours s'allongent et que je vais connaître ça avec lui...