mardi, novembre 15, 2005

Echarpe et pépitos


Lundi, après-midi, à l’école.

Je retrouve mes p’tits potes après quinze jours. Je les adore et je souris dès mon entrée dans le grand hall. C’est comme si le soleil se mettait d’un coup à briller très fort.

La première stagiaire, la grande blonde avec trop de cheveux, a commencé son cours depuis dix minutes quand je rentre en classe sur la pointe des pieds, un verre d’eau à la main. Ils sourient en me voyant. Je leur demande comment ça va, tout bas pour ne pas trop déranger. Ils me répondent, aussi bas : « Bien, et vous ? » Une élève m’interroge sur mon voyage. « Je vous raconterai… Chuuut… »

Je rejoins le petit banc du fond de la classe. J’ai énormément de mal avec ce genre d’exercices. Ecouter une série de cours et la fermer. C’est l’enfer. Je crois que j’ai commencé à aimer l’école à l’âge de vingt ans, en fait. A partir du moment où plus personne n’était là pour m’interdire de parler quand j’en avais envie.

Denis me regarde et me sourit, un peu complice, comme s’il avait compris que je mourais d’envie de lancer la stagiaire par la fenêtre et de reprendre le flambeau. Je lui rends son sourire. Je gribouille des remarques de méthodologie en rouge, par réflexe, sur un coin de feuille, je t’écris en noir sur un autre coin de feuille et quand je n’écris pas, je mange des pépitos en faisant attention de bien fermer la bouche pour ne pas me faire prendre en flagrant délit de gourmandise. Les élèves ont l’habitude de voir arriver, assez régulièrement, un stock déraisonnable de pépitos, qu’une collègue incrédule me ramène de France. Quand c’est le jour, je vais chercher ma classe dans la cour les bras tellement chargés de boîtes de biscuits que je dois confier ma clé à un p’tit pote. Je rentre en classe et j’emmagasine le tout dans une de mes armoires, sous une vingtaine de regards franchement amusés… Puis je sors ma bougie et mon brûle parfum, et dix minutes plus tard, la classe sent le jasmin.

Tiens, un moment d’anthologie de l’histoire de l’enseignement. Cette phrase prononcée à l’instant par la stagiaire, que je regarde en me mordant la joue, comme si je venais de me pisser dessus et que je voulais faire mine de le camoufler : « Qui veut partager à la classe qu’est-ce qu’il a mis sur son schéma ? »

Journée de fou. Je n’ose même pas y penser. Je saute d’une stagiaire à l’autre (oui oui), d’un conseil de classe à une réunion chez dame préfète, de paperasseries en paperasseries.

Notre écharpe ne me quitte plus. Je n’ai pas réussi à l’enlever ce matin, en arrivant, et je passe le tiers du temps le nez enfoui dans la laine verte. J’ai bien essayé de la retirer juste avant de commencer mon cours, tout à l’heure. Mais je me suis senti nu, instantanément, et un frisson désagréable m’a parcouru le dos.

Il est en moi.