jeudi, novembre 24, 2005

Winter


7.30. Trop de monde dans le train. On est serrés comme des mikados de combat, et on fabrique de la buée pour les fenêtres. De la mauvaise buée pleine de microbes, qui se condense et dégouline lentement. De nouveau du mal à trouver de l’air ce matin. Je siffle comme une petite vieille qui entamerait son dernier hiver.

J’ignore si c’est la promiscuité qui me rend misanthrope à ce moment précis. Je m’en contrefiche, de toute manière. Aujourd’hui, j’exècre tous ces étudiants qui parlent trop fort, comme s’ils étaient sûrs d’eux, qui beuglent à qui veut l’entendre qu’ils vont encore se saouler la gueule au Baccardi Breezer ce week-end; ces fonctionnaires de la Justice, vieilles avant l’âge, qui rabâchent les oreilles de tout le compartiment avec leurs problèmes familiaux et les couches du petit, et qui transpirent déjà; le contrôleur qui ramasse mon abonnement tombé dans le couloir central, qui fait mine de ne pas vouloir me le rendre et qui finit par me le tendre en me souriant de ses trois dents brunes et déchaussées, satisfait de sa plaisanterie.

Je suis dans ce bête train suant alors que j’ai envie de compter les grains de beauté d’un emperlimpimpinteur parisien, des pieds jusqu’à la pointe du crâne, me saouler de son souffle et de ses mains posées sur moi, d’escalader avec lui des abribus et de crier nos prénoms une fois en haut, de le faire frissonner, encore, dans une cabine du BHV, puis dans une cabine des Galeries Lafayette, puis dans une cabine du Bon Marché et dans une cabine Benetton où on s’isolerait pour essayer des gants qu'on ferait exprès de ne jamais trouver à notre goût…

Tori Amos dans les oreilles, pour m’abstraire une nouvelle fois de ce compartiment et de ces rails. Il me remémore hier soir une de ses chansons. Intro magnifique au piano. Un tout léger souffle, quasi imperceptible. Comme si elle avait enregistré « Winter » dans une petite maison bien chauffée, là où un jour je regarderai la mer… Impression d’une pluie, très loin derrière. Tout au nord.

8.35. Je continue à me dessécher dans le fond de la classe. Je regarde les jambes en X de la stagiaire, et ses fesses qui dansent la Carmagnole quand elle écrit au tableau, et ça commence vraiment à me lasser. Elle donne deux heures de cours et me dit qu’elle n’a plus de voix. Un sursaut de politesse et d’humanité m’empêche de lui dire qu’elle n’en avait de toute façon pas « avant ».

« Pour une meilleure pénétration, ils utilisaient de l’argile molle. » Va-t’en savoir pourquoi c’est à ce moment précis de la leçon de Boucle d’Or que je sors de ma léthargie… J’essaie de me raccrocher à ce qu’elle est en train de raconter.

Tiens, je te laisse une trace de ce week-end surréaliste. Le sourire d’I. d’abord, concentrée sur de belles lettres rouges qu’elle imprime sur des bouteilles de vin. Puis celui de N. et G. qui déchirent grave au violon. On joue pas loin de huit heures. Mon frère semble bien. Je suis tellement heureux de danser avec mon accordéon… Un ordinateur, tout en haut dans les bureaux du Centre Culturel. Lui et moi quelques minutes, comme au bout du monde. Le mail de C., lectrice de hasard, qui me propose avec des mots étranges et ronds de m’envoyer du thé et des pépitos… Un barnum et un chauffage en panne. Une « tête de moine » pour terminer la nuit, sur le coup de quatre heures. L’angoisse qui me prend, place du Jeu de Balle, le lendemain midi. Sa voix, ses mots, lui, tout de suite. Je suis trop fatigué, ça doit être ça. Une vieille dame se plante devant moi et entonne « Un fiacre allait trottinant, cahin-caha… » des étoiles dans les yeux.

Je m’approche du nid qui renferme notre odeur. Lundi, un peu après 22.00. Il est là, derrière la fenêtre de la cuisine. Il ne me voit pas et je pourrais le regarder des heures.

“Snow can wait
I forgot my mittens
Wipe my nose
Get my new boots on
I get a little warm in my heart
When I think of winter” Tori Amos