samedi, janvier 21, 2006

Promenade samedinicale


Croisé une petite vieille, vaguement voisine, à l’air patibulaire et à l’allure fuyante, qui plante sa béquille dans le trottoir. A croire qu’elle lui en veut, qu’elle ne voit pas l’âge et que c’est à cause de lui qu’elle claudique depuis des années. Son visage est tiré, comme si elle était tombée dans une bassine de Botox ou qu’elle avait traversé la Belgique à bord d’un tgv décapotable. Quand elle dit bonjour au gros monsieur du bas de la chaussée, juste au moment où je la dépasse, c’est d’une voix haut perchée, une voix de petite fille qui aurait déjà fumé des centaines de clopes. Je crois que D., ma voisine immédiate est une vieille copine à elle, et qu’elles sont fâchées pour une histoire de gaufres. Je me demande si, quand on devient très vieux, on ne redevient pas trop jeune, un peu, aussi.

Le gros monsieur, lui, n’a plus qu’une dent et ne parle que du temps qu’il fait et qu’il fera, et des ministres aussi. « Tous des raclures !» Puis il regarde le vol des oiseaux dans le ciel et fait mine de l’interpréter pour qui veut bien l’écouter. En été, il est en chemise Marcel blanche ou bleu ciel; en hiver, on dirait un marin sans mer, avec son gros pull et sa casquette de velours noir. Sa maison sent très mauvais quand on passe devant, même quand la porte est fermée. Doit y avoir des rats crevés sous l’évier, un fond de graisse à frites froide sur la cuisinière et un paquet de beurre rance dans les plis du divan…

Le soir quand je me balade, j’aime voir les télés allumées à travers les rideaux des gens qui restent au chaud chez eux.

« Pandi Panda, petit ourson de Chine, Pandi Panda, né dans l’Himalaya ». Un week-end entier sans rien que Zaï Zaï Zaï Zaï ce soir à la Maison culturelle avec mon papa déconneur. On est samedi, il est onze heures du matin, je me dis que jamais de la vie je ne pourrai travailler le samedi et j’écoute Chantal Goya le temps d’une chanson engagée sur la défense des pandas tibétains. Je l’imagine comme à chaque fois danser des claquettes rien que pour moi.

Sur le pont, juste avant d’arriver en ville, j’ai croisé une dame d’une cinquantaine d’années. L’âge où les femmes sont les plus belles et les plus élégantes, comme je le disais à une dame de Cléry bien de mon avis, d’ailleurs. Ladite dame du pont doit être une des innombrables exceptions à ma règle. Du haut de ses baskets noires aux semelles compensées, elle tient la main gauche d’un mari qui a l’air de promener sa fille plus grande que lui d’une demi-tête. Elle arbore fièrement un énorme Diddle en peluche qui pendouille le long d’un sac à main gris comme un escargot de Bourgogne trop cuit, et flasque comme des bourses d’éléphant. Elle est maquillée comme une vieille voiture volée et sourit dans le vide, comme après un joint trop tassé.


Ma maison est un capharnaüm indescriptible. Les poches de mon peignoir bleu, qui a le pouvoir de rendre sexe comme un Bulex de combat toute personne qui le revêt, sont remplies de boulettes de mouchoirs en papier qu’il a laissées là la dernière fois. Je tourne mes mains dedans et j’ai l’impression de jouer à Motus. L’écran de P’tit Con est maculé de spitures du pamplemousse rose dont je me suis délecté hier soir alors qu’il me chantait en hindi phonétique un extrait de Devdas.

On marie à l’Hôtel de Ville, et quelques mètres plus loin, un mec aux cheveux et au regard fous sort de la poste comme une furie. Au même moment, un monsieur en costume strict et cravate sombre, un de ceux qui travaillent le samedi, traverse la rue avec, dans la main droite, un énorme piquet de bois recouvert en son sommet pointu d’un petit sac de congélation transparent. Il a l’air bête avec son grand piquet pointu. Puis je croise une dame encore jeune, de longs cheveux blonds rassemblés grossièrement derrière la tête avec un élastique, une dame encore jeune mais au visage usé, pétri de fatigue et de soucis que j’imagine insurmontables. Elle a le regard vide, absolument vide, et des cernes jusqu’au milieu des joues. Elle a dû être gentille, ça se voit. Elle doit l’être encore d’ailleurs. C’est juste qu’elle semble n’avoir même plus la force de s’en rendre compte.

J’écris n’importe quoi, je comble des lignes, vite vite vite. C’est que ça me fait un peu peur, un week-end vide d’activités. Et puis, il faudrait que je range le souk qui me sert de maison et je dois avoir envie de reculer ce moment, accorder un petit sursis à la poussière.


Au grand magasin, j’ai rempli de pommes de terre un sac en plastique. J’ai envie d’une énorme potée d’hiver, de cuire du chou vert dans une grande casserole et de faire frire des lardons. Et toutes les pommes de terre se sont éparpillées au rayon fruits et légumes. Comme des billes. En plus, c’est que ça peut rebondir, une patate. Rebondir dans les pieds des clients qui s’éloignent en faisant mine de ne rien avoir vu, comme s’ils étaient gênés à ma place, et parce que je ne le suis pas. J’empaquette les patates dans un autre sac, que la caissière hilare perce à nouveau. La file est ralentie, les gens râlent, la caissière se marre, moi aussi, et les patates roulent.


Notre prochain rendez-vous dans Paris est pris. On fera des bulles vendredi sur le Pont des Arts. Des bulles tout près de minuit. Et puis je le serrerai contre moi et on respirera ensemble…

Cette bafouille est illustrée par Irène Tétaz , belle dame de Cléry

dimanche, janvier 15, 2006

Et ne plus bouger

Putain de quai. Je traverse la rue. L’esplanade est déserte devant la gare. J’ai les mains dans les poches. Une heure. La plus longue heure d’un week-end étoile filante. Des minutes qu’on voudrait suspendre éternellement et qui passent comme le sable dans les mains. On serre très fort les doigts, on croit qu’on a bloqué le flux et chaque fois, on se fourre le doigt dans l’œil.

Le car démarre. Il est bondé. Tomke est debout dans l’allée, cherche un siège, l’écharpe bariolée autour du cou. Et le car s’éloigne et je suis au milieu de la place. Il repasse devant moi, je ne le vois plus, je suis trop loin. Je traverse une deuxième rue, je marche. Cent mètres, je reviens sur mes pas, je tourne en rond. Je pourrais être à Honolulu, Budapest, Barcelone même, je ne vois plus rien. Tout se passe dedans, et mon corps sent le car s’éloigner, et je suis perdu, comme un gosse dans un magasin trop grand pour lui. Quelqu’un à l’accueil va passer une annonce, et je saurai où me diriger. B. me recueille. Les bougies et la soupe me font du bien.

Dans le train, un japonais peroxydé chante une daube abyssale d'une voix suraiguë. Mes écouteurs m’injectent de la musique dans les oreilles. Je pense à lui. A ce moment, Virginia Woolf ne peut rien faire pour moi et les mots que je lis sont diaphanes.

L’allegro de la neuvième symphonie de Dvorak plein la tête, j’allonge le pas. Je marche vite et j’ai l’impression de claudiquer, de marcher à moitié, comme sur un fil. Je viens de lire son message. Je jongle avec la France et la Belgique dans mon téléphone. Je le vois demain. Demain je serai là-bas. Il travaillera à son bureau. Je lirai, derrière lui, les oreillers redressés contre le mur. Ce sera bien et pourtant, je serre les poings à m'en faire mal aux mains. Les lumières des lampadaires se transforment en soleils. La lune est pleine.

Je l'aime. Je veux me plier sous la couette et ne plus bouger.

jeudi, janvier 12, 2006

14h22, cerveau, état des lieux

J'aurais voulu pousser le car, même sous la pluie. Ecarter les voitures dans l'embouteillage et estourbir le chanteur d'opérettes flamand qui faisait office de chauffeur. Et puis, un peu tremblant de tout ça, de ces heures sans l'autre à portée de regard, je suis arrivé chez lui, dans ses bras, sur son lit étroit d'amoureux, et c'est comme si ces huit jours partaient en fumée avec les larmes. J'ai bouclé la boucle danoise. C'est bien. Ses lèvres et ses bras valent tous les voyages de la terre. Je suis très niais et je m'en contre-balance. Je devrais partir, là, rejoindre notre belle I. dans son antre qui doit sentir un peu le figuier, et je n'y arrive pas. Il est parti en cours, me rejoindra demain. La grande grue jaune tourne comme une folle. Et quand elle tourne par ici, on dirait qu'elle va ramasser le clocher de la petite église au passage. On enterre encore, aujourd'hui. A croire, qu'ici, le curé doit faire ça bien ou que la moitié des habitants est à un stade aussi avancé que celui de notre petite vieille buveuse de bière. Il est sorti sous la pluie hier, me retrouver à Corentin et il avait des petits yeux fiévreux. Je veux bien prendre ses petits yeux, tout de suite. Je lui prêterais mes yeux d'inuit en attendant, juste le temps que ça passe. Je vais y aller. Ramasser par terre un pull à lui puis voilà.

mercredi, janvier 04, 2006

Gallieni, petit zizi !


14.10. Pour la première fois, j’aurais voulu me tenir loin de tes pages. Très loin. Tout le temps. En fait, je crois que pour la première fois, j’aurais pu t’oublier.

Même car, même film, sens inverse. Merde.

J’ai pleuré sur son épaule, dans son écharpe bariolée, parce que je ne pouvais pas faire autrement, parce qu’on me retirait une partie de moi. Et là, en haut des escaliers trop blancs de Gallieni, je ne pouvais pas me tortiller les jambes comme dans le lit pour réprimer les sanglots…

Je ne sais pas au juste pourquoi je t’écris. Peut-être parce que je sais que Tomke passera par ici en se demandant si Micha a écrit… Et puis je me dis qu’il aimera sûrement me lire, alors que je serai là-bas dans le nord.

J’écris aussi pour te dire très très fort qu’avec lui, c’est que du bonheur et qu’avec lui (putain quoi !), je vis ! Je crois qu’il est le premier avec qui j’ai envie de patiner, de danser, de faire l’amour, d’envoûter les AX, de faire sauter des crottes de chiens sur les jambes de toutes les Goffinet-Berthier de la planète, d’imiter les serveurs de chez Angelina, durant la même soirée.

18.07. Je réintègre mes murs, ma maison remplie de nous et de ces huit jours passés ici. Demain à 13.20, je serai à Copenhague. Copenhague, c’est loin et en même temps je serai là.

Je l'ai tellement dans moi...